C’est un article de Ben Judkins sur Kung Fu Tea qui me fait réfléchir sur cette question. L’article : « Who »Owns » Kung Fu? Intangible Cultural Heritage, Globalization and the Decentering of the Asian Martial Arts » pose la question. C’est une question qui demanderait une recherche complète par des sociologues. Mais je n’ai pas ce temps, donc voici un peu ce que je retiens de la réflexion de Ben Judkins.
Iron Man au Mook Yan Jong !
source : http://assets.fightland.com/content-images/contentimage/58368/how-wing-chun-helped-robert-downey-jr-battle-addiction.jpg
Tout d’abord, nous pouvons nous poser la question, le Wing Chun est-il un art chinois ou plutôt un art cantonais? Comme le démontre Judkins dans son livre sur les origines du Wing Chun, le style est étroitement lié au Delta des Perles et la province de Canton. D’ailleurs, l’école de la Jingwu, si je me fis au livre de Guo et Kennedy, n’a jamais vraiment fait la promotion du Wing Chun. Et aujourd’hui, avec le mythe de Yip Man, le Wing Chun est un élément essentiel de la culture de Hong Kong.
Mais le débat va beaucoup plus loin de nos jours. Le débat est beaucoup plus complexe. En fait, nous pouvons nous demander si le Wing Chun est encore un art asiatique. On ne peut pas nier l’origine asiatique du style. Nous ne pouvons pas réécrire l’histoire. Mais aujourd’hui, le Wing Chun est-il vraiment encore un art chinois? La question se pose pour aussi pour les arts japonnais. La mondialisation est le concept derrière ce questionnement.
Avec l’internet, Judkins fait remarquer qu’il y a une mondialisation de la culture. Avec le développement des voyages et la transmission du savoir sur la toile, de plus en plus de gens ont accès à cette culture. Donc de plus en plus de gens sur la planète pratiquent ces arts. Judkins donne l’exemple du Judo. Les Japonnais remportent moins de médailles d’or qu’avant aux Olympiques. Ceci ne veut pas pour autant dire que les Japonnais sont moins bons qu’avant, mais tout simplement que l’épicentre du Judo s’est déplacé vers l’Europe. Étant donné que le bassin de population est plus limité au Japon qu’en Europe, la domination japonaise au judo va probablement diminuer dans le futur.
Le même phénomène s’observe dans d’autres domaines. Dans le cas du White Crane, Lorne Bernard mentionnait dans une entrevue sur Québec Martial que le White Crane était en train de disparaître en Malaisie. Il soulignait toutefois que le White Crane n’était pas mort parce que c’était très fort au Canada. Lee Joo Chian soulignait cela dans une entrevue sur le site internet de Kung Fu Magazine :
« LE: Are there many students in your school? Is Flying Crane alive in Malaysia?
LJC: Right now there are not that many students in my school, because in Malaysia people are always looking for jobs; so, you have a good student, but after maybe two to three years, then they move to another city, or another country.
LE: Do you know if there are many people doing White Crane or Flying Crane in China?
LJC: I’m not sure; I think there are not a lot of people there who know the right kind of teaching.
LE: Do you think the tradition of Flying Crane will continue to the next generation, in the next 50 years?
LJC: Maybe. I’m the fourth generation in my family to teach Flying Crane, but whether my son or my grandkids will want to teach, I don’t know. But now that Flying Crane has come to Canada, I think maybe, maybe we have a chance! »(source à la fin)
Il est difficile de savoir pourquoi une telle situation se produit. Toutefois, le Kung Fu n’est plus exclusivement chinois. Mais si les arts martiaux comme le Wing Chun et le White Crane survivent c’est parce qu’ils ne sont plus enseignés seulement en Chine. Naturellement, l’arrivée des communistes au pouvoir en Chine en 1949 a peut-être (moi j’affirmerais certainement) contribué à l’exportation du Kung Fu. Comme plusieurs maîtres on fuit la Chine, nous pourrions nous demander dans quelle proportion cette situation fut un moteur pour l’introduction des arts martiaux chinois dans le monde. Il ne faut toutefois pas oublier l’impact de Bruce Lee dans le monde.
Ceci soulève une autre question. L’essence de l’art. Apprendre les mouvements d’une forme est une chose. Apprendre l’essence derrière le mouvement en est autre. Je peux très bien exécuter les katas de Iaido que j’ai appris en 2012. Toutefois, un pratiquant avancé de l’art va constater que je n’ai pas l’essence de l’art qu’est le Iaido. Certains puristes pourraient être tentés d’avancer que cette essence ne peut être apprise de façon traditionnelle. Doit-on donc absolument l’apprendre en Chine pour qu’il garde cette essence? Depuis le temps que le Wing Chun s’est exporté vers l’Europe et l’Amérique, il y a de fortes chances qu’une expertise se soit développée hors de l’Asie. Les Russes sont très fort sur le Vinh Xuan (Wing Chun vietnamien). La question de l’essence des arts martiaux fera l’objet d’un autre texte.
Il ne faut pas tomber dans l’argument d’autorité. Ce n’est pas parce qu’un instructeur est asiatique qu’il soit nécessairement plus compétent qu’un Européen ou un Nord-Américain. Si beaucoup d’écoles de Wing Chun affichent leur généalogie pour démontrer leur « authenticité », on ne voit pas cela dans les écoles d’arts martiaux japonnais (de mon expérience).
Sources :
Entrevue de Lee Joo Chian
http://www.kungfumagazine.com/TOC/index.php?p=article&article=1037
Judkins, Benjamin N. Jon Neison. The creation of Wing Chun. A social history of the Southern Chinese Martial Arts.State of University Press. New York. 2015.
Kennedy, Brian; Elizabeth Guo (2005). Chinese Martial Arts Training Manuals: A Historical Survey. Berkeley, California: North AtlanticBooks.
Entrevue Lorne Bernard avec Qc Martial : https://www.youtube.com/watch?v=VE4DYRVOJPU
Votre commentaire